ANNE-SOPHIE YACONO — Texte d’artiste, 2020
La propagande du « pays-spécimen » Chatteland prône l’apothéose de la jouissance visuelle et sème des MST yaconesques redoutables sur sa route.
Ces oeuvres-parasites sont les icônes d’une conception de la puissance dirigée par une artiste incantatrice.
La pratique d’Anne-Sophie Yacono est une odyssée mentale et sexuelle. Ses œuvres hypnotiques à la géographie sérielle troublent une « vérité » séculaire ; celle de la prise de pouvoir, d’une renaissance, de l’intronisation du sexe féminin.
Ses sculptures sont les témoins d’un monde englouti qui réapparait par à-coups et fait tressaillir chaque nuque et chaque organe dès que la légende est invoquée. Toutes les mythologies ont en commun la narration d’une fiction où les femmes et les hommes se projettent et se perdent au bon vouloir de leur interprétation. Ce mythe artistique est celui d’une philosophie de la voracité qui met en scène des êtres monstrueusement attirants.
Anne-Sophie Yacono totalitarise un art de la transcendance, très empreint de la philosophie musicale et cathartique du métal. Ses actions sculpturales sont réalisées dans cet esprit d’expansion et d’exutoire des émotions.
Elle s’imprègne de l’intensité de ce courant musical et donne une énergie théâtrale et légendaire à ses formes artistiques. Ses œuvres sont à l’image du heavy metal, techniques et héroïques. Vraie métaleuse, elle adresse un message pictural à la fois trash et mélodique en maniant le second degré, le ridicule et la symphonie.
Interférences organiques et baroque intestinal dépeignent un cauchemar lancinant auquel nous confronte l’artiste. Elle associe des techniques de peinture, de céramique, d’encadrement, de dessin et de digestion pour « faire aller » une sculpture de l’incarnation. Ses ombrages subtils, l’apocalypse de ses entrelacs et l’ivresse de sa picturalité sont en proie à des mouvements imperceptibles qu’elle convoque dans ses lignes, ses courbes et ses bouillies peintes. Ponctuellement l’invasion s’intensifie grâce à des processions performatives où les hôtes infectés interviennent tels des messies chatoyants et absurdes, prêchant une légitimité de la fascination pour l’illusion Chatteland.
Elle porte le rose à son paroxysme. La couleur imposée au féminin dépasse cette absurdité et devient un fantasme, celui de la vraie couleur du corps ; la complexion interne comme universalité chromatique.
La peau se retire et laisse entrevoir fleurs et feuillages luxuriants qui se mêlent pour créer un plumage dystopique et envahisseur. Le débordement et le tumulte offerts ouvrent un poste d’observation sur la richesse des torsions et les inépuisables motifs de « végé-carnation » que l’artiste convoque. Anne Sophie Yacono réduit le corps à l’état de liquide et recouvre avec cette humeur des totems à l’effigie de Chatteland qu’elle nourrit de manière rizhomatique ; telle une araignée piégeant ses proies dans sa toile, les mordant pour les dissoudre de l’intérieur et ainsi se rassasier de leur substances.
Là où le désordre est la vie, elle tient un rôle d’exploratrice, dit oui au terrible et au sublime.
L’artiste caractérise ses créatures par l’insoupçonnable piège de l’apparence à l’image des tentacules fatales et protectrices de l’anémone de mer ou bien de la solide fierté des fragiles coraux.
Venues des abysses, Iron Maiden et Je pense à toi sont ses premières œuvres en métal, reflets de la légèreté et l’indestructible de son univers.
Elle dompte l’acier et le cuivre : grave, découpe, froisse, ondule, chauffe et dresse en effigie.
Les matières brutes entre ses mains évoluent dans des postures de camouflage, de séduction, de parure et d’atours biologique et géologique.
Iron Maiden est une sculpture au centre de laquelle est assemblé un miroir peint recto-verso, bloqué dans les lames métalliques d’une fleur carnivore. Ce portail dont la psychée centrale nous propulse dans un passage spatio-temporel, est-il l’apparition d’une armée naissante de Chatteland ?
Au bout de cet intestin qui nous tend ses lèvres coupantes, aiguisées, un paradis illusoire.
Observer, porter son attention trop près de la vierge de fer, c’est prendre le risque de se faire bouffer, digérer, donnant ainsi un peu plus de pouvoir à Chatteland par notre sacrifice.
Ainsi morts dans l’oeuvre mouvante, d’autres espaces s’ouvriront, leurs dimensions n’existant plus vraiment et variant jusqu’à ce qu’on ne puisse plus se faire d’idée de la réalité de l’oeuvre symptomatique.
Peut-être serons nous recrachés dans une nouvelle œuvre de l’artiste. Un boyau sur le rebord d’un cadre scintillera dans l’acrylique fraîche, une silhouette génitale vibrera dans les tréfonds roses d’une huile et des miettes de cervelle se figeront dans une ultime cuisson au four, émaillées et reconstituées par la main infernale de l’artiste.
Ses sculptures sont ses sbires, des œuvres qui se parcourent au gré d’une procession qui s’active par pénétrations et expulsions.
Pendant d’Iron Maiden, Je pense à toi est une entité sculpturale phallique, sédimentation de différentes essences de bois et ornée d’une colonie fongique de pétales de cuivre scintillants.
Représentante et incarnat de l’étrange utopie dictatoriale des vices, des fioritures et du pouvoir de l’estomac et ses tubes – qui tel un deuxième cerveau fomentent un coup d’état sur le corps – Anne-Sophie Yacono créé avec une pleine conscience, le bide et les tripes. Sa peinture fascine et sa sculpture nous étreint dans un dernier face à face avant de disparaître : Implorer pitié, est-ce une bonne idée ?
Anne-Sophie Yacono, détail, Iron Maiden, de la série Les Enjolivorures, faïence émaillée, huile sur toile et acrylique sur fer, 2 m 6 x 116 cm x 40 cm, partie métallique réalisée en partenariat avec Nicolas Rambaud de l’atelier métal des Beaux Arts de Nantes, 2019