Mélanie Vincent

DE LA MONTAGNE AU PLANCTON — Entretien

Léo Bioret : Comment les dispositifs lumineux prennent place dans tes projets ?

Mélanie Vincent : Les dispositifs lumineux avec lesquels je travaille sont primordiaux puisqu’ils activent les oeuvres. Tant qu’ils ne sont pas allumés, les pièces n’existe pas. Dans un rapport d’imbrication, l’un ne fonctionne pas sans l’autre. Cet échange entre les deux est donc essentiel pour que l’installation existe.

Cette question du dispositif s’est imposée dès le début de mes recherches sur la lumière. Notamment à la lecture d’une correspondance de Gaspard David Friedrich avec le peintre W.A. Shukowski en 1885 où il détaille un dispositif qu’il a mis en place pour rendre visibles des tableaux qu’il a réalisés.
Rien n’est laissé au hasard dans ce procédé et chaque élément a son importance dans la perception de l’image. À une certaine heure de la journée le soleil entre dans la pièce et chemine jusqu’à l’oeuvre qui se dévoile à un instant précis et disparaît dès que le soleil poursuit sa course. Friedrich créé un moment de perception et d’activation. C’est de cette manière qu’il veut que le tableau soit vu et pas autrement. Je trouve ça beau, cette possibilité d’apparition et de disparition de l’oeuvre.  Donner à voir ce qui nous échappe et se dérobe à nos yeux m’intrigue.

Léo Bioret : Discrètement tes sculptures sont installées dans l’exposition, puis la lumière détermine l’appréciation de ton installation.

Mélanie Vincent : La luminosité ambiante est un variateur. Il y a une forme de vie dans ces fluctuations. C’est une dimension que j’ai intégrée à ma proposition, d’aller cherche cette pièce dans l’exposition ! Elle se dérobait même au regard puisqu’il était possible de l’apercevoir de loin et une fois le regard attiré par les couleurs fluorescentes, elle disparaissait lorsqu’on s’en approchait ; l’angle du store faisant disparaître les sculptures. Il fallait à nouveau faire un effort pour se pencher et trouver l’ouverture adéquate et ainsi renouer le contact visuel avec les formes.

Léo Bioret : Cet effort du contact visuel est-il une récurrence dans les dispositifs que tu mets en place ?

Mélanie Vincent : Je contrains le contact visuel soit en l’empêchant soit en le sur-sollicitant par l’éblouissement. J’ai parfois intégré des lumières assez vives pour déclencher la difficulté de regarder. J’inverse le procédé lumineux d’une pièce puisque normalement on éclaire une œuvre par un spot dans une exposition pour la révéler. Là c’est l’oeuvre qui génère de la lumière pour éclairer le regardeur, la position change. Visuellement il y a une gêne mais j’atteins aussi quelque chose d’hypnotique. Ce parasitage fait pour moi partie intégrante de l’oeuvre. L’acclimatation de l’oeil créé parfois des illusions d’optique grâce à l’utilisation de matériaux spécifiques et l’exposition à la lumière noire.
Ce qui m’intéresse est la question suivante : Qu’est ce qui nous échappe ?

Léo Bioret : Quelle est l’origine d’Origine ?

Mélanie Vincent : L’idée de ce projet vient de la manipulation d’un matériau, la pâte Fimo fluorescente. J’ai testé des formes simples issues des constructions cellulaires de base comme les boules et les tubes, leur associations et leur accumulation. Au fur et à mesure je les ai regardées sous des formes « primaires », celles des virus. Les formes issues de l’infiniment petit et grand me fascinent puisqu’elles sont liées à notre perception.
Origine joue aussi de l’ambiguïté entre virtuel et matériel grâce à l’utilisation du stylo 3D pour réaliser les coques qui abritent les formes en pâte Fimo. Je ne propose pas de réponse claire quant à la nature de l’oeuvre.
Dans un deuxième temps la prise de vue de ces œuvres est déstabilisante car l’image est autonome et produit un questionnement sur ce que l’on voit vraiment. Ces deux étapes in situ et photographiques sont des lectures possibles de l’oeuvre où l’oeil travaille différemment à cette double réception. Comment rendre cohérent et capter l’expérience sculpturale et lumineuse est crucial pour moi. Dans une continuité de l’exposition, la photographie intègre complètement le dispositif de l’oeuvre. J’aime être surprise par mes créations, comme si elles m’avaient échappées et avaient désormais leur propre vie. J’ai hâte de les voir coloniser et habiter l’espace.