LA GLACIÈRE — Exposition, 2013
Muriel Joya, Audrey Martin, Thomas Rochon-Connétable
Les montres s’arrêtent, un projet d’exposition de la Glacière, présenté chez Illusion et Macadam dans le cadre de la résidence d’Audrey Martin, sur une invitation du Living room. Cette exposition post fin du monde répond à la prédiction du journal, « Mode d’emploi » réalisé en 2012 pendant la résidence, « Chronique de l’archive des mondes ».
Audrey Martin et Muriel Joya proposent des productions inédites qui ont constamment évoluées pendant une année. Cette deuxième partie du projet aborde la disparition et l’apparition, la destruction et la reconstruction des images par l’accumulation des strates du temps ou par la manipulation visuelle. Le statut d’entre-deux des oeuvres et de leur représentation rythme cette exposition, les pièces ainsi se répondent. Ce qui aurait pu avoir lieu le 21 décembre 2012 est resté en suspend, nous devons alors réactiver notre imagination et en finir avec cette idée de fin du monde complètement erronée. Les montres s’arrêtent, nous assistons alors dans cette exposition à un archivage du temps et à une prédiction sans cesse repoussée.
Hors-champ de la fin du monde
« La cohabitation de plusieurs temporalités en un même lieu ne serait plus perçue comme un anachronisme qui perturbe, voire déstructure l’espace, mais comme la condition sans laquelle ce dernier ne pourrait exister. »1
Peut-on se représenter la fin du monde et peut-on se représenter sa propre fin, la fin de son temps ou la fin du monde collectif ?
Autant de questions qui nous ramènent à l’aube de l’an 2000. Les prévisions annonçaient que notre civilisation informatisée sombrerait dans le chaos. Un défaut dans la conception des logiciels informatiques devait déclencher la fin du monde ; « le bug de l’an 2000 », aussi appelé Y2K. Mais il ne s’est jamais rien passé et ce spectre de la fin du monde n’était qu’un fantasme ayant alimenté les esprits. Douze ans plus tard, dans un monde encore plus sophistiqué et informatisé parmi, les guerres qui se poursuivent, le lobby nucléaire et le pouvoir d’Internet, nous attendons une autre fin du monde.
En attendant cette fin nous lui donnons une image, nous la fantasmons à nouveau et le battage médiatique autour de l’évènement ne cesse d’alimenter les théories allant de l’économie à la science. « Est-ce que le calendrier maya parle vraiment de la fin du monde ou seulement de la fin d’un cycle du calendrier? Ceux qui ont étudié ce calendrier et cette culture qui l’a élaboré rejettent entièrement la prédiction de la Fin du Monde comme étant une mauvaise interprétation des données. Ils affirment en effet que le calendrier ne parle pas d’une fin en soi mais d’un nouveau commencement. »2
Ce hors champ de la Fin du Monde est riche d’interprétations, de prétextes et de représentations. Quelles sont alors les données prises en compte ? Quelle est la marge d’erreur ? Qui y croit et pourquoi ? L’espace et le temps sont toujours liés dans l’image et c’est en parcourant l’espace ambivalent du hors-champ que l’on peu tenter de répondre à ces questions.
L’image capture et immobilise son contenu dans un espace délimité. Mais elle peut aussi sortir de cette limite du cadre, alors apparaît, le hors champ. Il est définit par l’ensemble de l’espace diégétique. C’est un espace intermédiaire entre ce qui est montré, ce que l’on voit et ce qui pourrait être montré. Un espace que l’on construit mentalement.
Tout ce qui n’est pas visible dans l’image mais qui existe à partir du moment où il est pensé fait partie du hors champ. C’est un espace immatériel qui fait jouer l’imagination, l’hypothèse et la supposition. C’est un espace suggéré. L’œil prend ses repères dans l’image et est d’abord attiré par l’espace occupé et se dirige ensuite vers l’espace libre. On s’inquiète de ce qui est hors champ, ce qui dépasse le cadre. Un hors champ implique forcément une notion de limite et de frontière, une notion qui divise l’espace.
C’est le hors champ qui définit le champ. L’occupation d’un lieu imaginé, invisible. C’est un moyen de parler de quelque chose sans le dire directement, c’est un détournement. Deleuze parle d’une « zone d’indiscernabilité ou d’indéterminabilité objective » et même d’un « ailleurs » dans l’Image-temps. Le hors champ peut aussi procurer un certain risque en déstabilisant le regard et la lecture d’une image.
Que faut-il croire finalement, tant l’image et la représentation d’une telle prédiction sont transformées et tant les croyances et les visions du monde sont riches de diversités ?
Cette attraction de la fin des temps est utilisée pour attirer et intriguer les populations par la presse. Le journal en tant que témoin du temps est l’élément de prédiction par excellence.Il accueille l’information, l’organise et la donne à voir par un système de codes et de techniques journalistiques. En divisant les informations, le journal présente différents mondes et différentes catégories qui ont fonction de diviser le monde en plusieurs univers. Ce hors champ visible de la fin du monde donne à voir une prédiction de la fin des mondes sur laquelle la population s’empresse de spéculer sur les évènements.
L’absence à une grande force dans l’image. Signaler l’absent c’est bien le désigner comme tel et le rendre présent par des références ou des repères dans l’image. On observe un moment ou le temps est suspendu et qui permet à différents temps de cohabiter. Le hors champ devient un réel équilibre, il permet d’aller plus loin, littéralement au-delà. Cette gymnastique mentale sur un déplacement temporel est aussi un déplacement spatial. Ce qui est vu se place dans un temps et ce qui est imaginé est dans un autre temps. Le hors champ peut donner de la perspective dans l’image, une perspective mentale et imaginée. « Les scénarios de la fin du monde ne sont pas tous complètement tirés par les cheveux. L’un des phénomènes qui a été lié à 2012 est le changement de pôle, et les astronomes affirment qu’il pourrait avoir lieu dans un avenir prévisible. Mais avec notre connaissance actuelle, il n’est pas possible de fixer une date précise à un tel évènement, et chose encore plus importante, cet évènement n’est pas le présage d’un désastre. Concernant l’économie, une catastrophe pourrait arriver à n’importe quel moment, avant ou après le mois de décembre 2012, dans le cas où des actes irréfléchis d’un gouvernement d’une superpuissance provoquent l’effondrement du système financier mondial. Mais nous ne pouvons que spéculer sur le moment précis où cela arrivera ou même sur les conséquences qu’une telle catastrophe entraînera. »3
The Longest day
21 Juin 2009 – Soirée du Solstice d’été.
« Notre projet était de sortir l’exposition de son espace institutionnel et muséal. Pour cela, nous avons proposé un dispositif de vidéo – projection sur le sol près de l’entrée du CRAC d’Altkirch. Nous avons projeté sur un tapis de craie, l’image aérienne d’une des salles de l’exposition en cours au CRAC, Time Warp, au sein de laquelle nous avons incrusté certaines de nos œuvres. Une manière métaphorique à plus d’un titre d’apparaître : apparaître à l’image en même temps que la nuit vient, apparaître dans l’exposition, et apparaître aussi sur la scène artistique. »
En faisant face à de nombreuses contraintes dans ce lieu d’exposition, Muriel Joya et Audrey Martin, ont su tirer de leur collaboration, un projet/projection, qui interroge l’image et sa présentation dans un espace d’exposition. L’image est apparue au sol, à l’extérieur du Crac Alsace, en plongée complète et projetée sur un carré de magnésie pilée et frottée à la main. Ce principe de mise en abyme du geste artistique détourné par la projection donne tout son sens à l’installation à travers un système d’apparitions cumulées. Le titre de la pièce fait référence au Solstice d’été, jour le plus long de l’année mais aussi au film sur le débarquement datant de 1962, The Longest day. Cette pièce existe aussi dans un esprit guerrier par l’incrustation du geste artistique dans un lieu d’exposition.
La projection de The Longest day, est apparue au début de la soirée puis est devenue de plus en plus visible au fur et à mesure que la nuit tombait. Cette expérience sensible de l’installation in situ donne accès à différents stades de l’image sur un principe d’apparition physique dans le temps.
27 Novembre 2010 – Sous la neige.
The Longest day 2 a été spécialement repensé pour l’exposition à la galerie Plug . in de Bâle. Cette nouvelle version de l’installation n’a pu échapper aux conditions météorologiques et a été présentée sur un tapis de neige. L’image et l’apparition changent alors de statut en s’insérant dans l’environnement à la manière d’une résistance par la lumière. Les aléas climatiques proposent une nouvelle pièce dans la continuité logique de la première. L’image proposée reprend le principe d’incrustation d’œuvres dans une photographie du lieu d’exposition. Le temps d’une soirée, la lumière, créée de l’espace dans un temps limité d’exposition.
21 Décembre 2012- Destruction.
Destruction du jour le plus long. Finalité de la pièce et de la création artistique qui fonctionne sur deux temps : la prédiction et l’exposition. Dans ces deux temps d’expositions, l’espace est mis en avant. L’image est épuisée dans le temps et disparait pour laisser la place à un écran lumineux. La « matière lumière » remet en question le statut de l’image et installe The longest day dans une temporalité propre à l’œuvre. On dégage dans cette version zéro point zéro un certain héroïsme de la pièce, toujours dans cet esprit guerrier, elle disparait.
Cette œuvre annoncée puis présentée est le point central de l’exposition. Les autres travaux sont mis en orbite et circulent autour d’elle. Comme si l’image connue, inscrite dans la chronologie de The Longest day, avait explosée pour créer d’autre mondes artistiques, en orbite autour de l’espace de lumière blanche. Cette pièce centrale construit l’exposition à la manière du phénomène du Big Bang d’où toute matière aurait été formée. Le projet évolue, il est projeté en intérieur pour sa dernière présentation et pour la première fois. A travers cette remise à zéro, The Longest day est maintenant complète et finie.
L’annonce et la prédiction de cette pièce prend tout son sens sous la forme d’une double page blanche (la page dialogue avec l’écran de magnésie). Ce dernier moment est un Chaos à l’envers, une ruine lumineuse. Il s’agit ici d’affiner l’œuvre vers un point ultime où l’image n’est plus nécessaire. La deuxième partie de l’exposition devient le temps de l’éblouissement en rentrant dans l’institution. Les deux premières versions avaient une position instable. Cette dernière, zéro point zéro, existe dans sa stabilité. Cette ultime mise en abyme met clairement en image le phénomène de l’expansion de l’univers. Contrairement aux deux premières versions, celle-ci s’imprègne dans le temps et passe du statut éphémère à celui d’archive.