À LA SOURCE DES IMAGES
Léo Bioret : Quels basculements se sont opérés récemment dans ta pratique picturale ? Que s’est-il passé ?
Guillaume Mazauric : Le monde visible que je connais me parvient par des images via internet ou des livres. Comment à partir de ces images puis-je réinvestir le réel ? C’était l’idée d’une première période de production qui était de traiter les images comme des objets plastiques et de désamorcer leur statut photographique emprunt de la réalité. J’étais à ce moment là dans une approche conceptuelle de l’image. Me réapproprier des photographies était alors devenu une impasse, j’exposais une méthode.
En parallèle j’ai découvert la poésie de Borges, il s’est alors passé quelque chose en lisant le Livre des êtres imaginaires1. J’ai donc commencé à réaliser des pièces avec plus d’intention narrative dont l’installation, Ballade au bout du monde en 2018.
Léo Bioret : Considères-tu cette période comme une étape de recherche ?
Guillaume Mazauric : Presque, je la voyais comme un travail expérimental. À l’époque je n’osais pas raconter d’histoires ni inventer des mondes. Je suis pourtant un grand fan de science-fiction et de récit fantastique, plus c’est bizarre, plus ça me plaît !
Puis j’ai découvert les GANs, des algorithmes de génération d’images qui techniquement m’ouvraient des possibilités immenses. Je pouvais générer une très large gamme de catégories d’images : visages, objets, animaux, constructions.
Léo Bioret : C’est une nouvelle étape de création, antérieure à la peinture et au volume. Es-tu arrivé à la source des images ?
Guillaume Mazauric : J’ai ce sentiment. L’étape de récolte et de sélection de visuels est désormais déléguée à une intelligence artificielle qui va piocher dans des banques de données. Je peux alors me concentrer sur l’écriture et la réflexion de la composition. Les résultats m’ont vite plus et j’y trouve du plaisir et de l’appétence. J’aime beaucoup cette relation possible avec une machine car j’ai une usine à images entre les mains. Les possibilités de combinaisons sont presque infinies vue la palette à disposition et les systèmes différents qui génèrent des images. Ces algorithmes ont libérés énormément de choses !
Je me suis servit des résultats et des bugs de ces algorithmes pour réaliser la série d’huile sur toile Regular things in common context. C’est moins le discours sur la technique qui m’intéresse que le rendu visuel de ces algorithmes.
Léo Bioret : L’évolution dans ta démarche et ta production passe aussi de la peinture au volume. Comment les images se sont projetées dans l’espace par le biais d’installations immersives ?
Guillaume Mazauric : J’ai envie d’assumer la partie imaginaire, narrative et expressionniste qui a finalement toujours été là, parfois cachée ou invisible, aujourd’hui elle s’impose dans ma pratique. Le volume est devenu un vrai espace fantasmagorique.
Dans ses images générées par les algorithmes l’hybridation qui est produite m’intéresse. Il y a des textures et des couleurs, des contextualisations spatiales qui rappellent bon an mal an le monde réel. L’espace est en fait complètement déstructuré, les formes et les couleurs sont très bizarres et grotesques mais pourtant ça tient debout car il y a ces repères visuels qui permettent au cerveau de combler les blancs et de faire automatiquement des analogies. Les formes improbables que produisent les algorithmes, je m’en sers pour réaliser des sculptures dont Mimesis, présentée dans l’exposition INTER_.
Léo Bioret : Une pièce plongée dans le noir sert de cadre à un étrange théâtre : une sculpture phosphorescente est suspendue et éclairée à la lumière ultraviolette. Le volume sculptural fait face à un écran de Leds. Comment fonctionne cette installation Mimesis ?
Guillaume Mazauric : L’écran sert de passage aux formes sculpturales qui s’inspirent des êtres des miroirs de la nouvelle de Borges. Le sujet de cette nouvelle est la menace d’un recouvrement de la réalité par les représentations et les simulacres ; le passage entre le monde de la représentation et l’espace concret et réel : une agitation du monde des miroirs et des représentations finit par déborder de cette réalité parallèle et les créatures qui en sortent se trouvent pétrifiées instantanément lorsqu’elles arrivent dans le monde réel. Elles sont alors exposées dans cet espace frontière et limite où il vient de se passer quelque chose. Cette histoire est à la fois une légende, une prophétie et une hypothèse documentaire. C’est un récit qui convoque du mythique du fantastique et presque de la science fiction et de l’anticipation, des modèles fascinants ; qui convoque l’idée de passage entre des plans de l’existence, d’un pont et d’un espace possible entre les dimensions. Lorsque l’on se projette en tant qu’artiste sur des fantasmes imaginaires là-dessus les champs qui en résultent sont vastes et passionnants. Ma recherche s’oriente de plus en plus vers cela.
Léo Bioret : Le passage est récurrent dans ta pratique ; tant dans tes peintures que dans tes installations, nourris par un riche corpus de textes.
Guillaume Mazauric : Le passage est pour moi la composante narrative. Je travaille les images dans un lien à l’imaginaire. Le fait de m’appuyer sur un récit comme point de départ m’aide plus que de partir d’un concept. L’évolution de ce terme de passage dans mon travail vient aussi de l’utilisation et la génération de nouvelles images numériques. En ce moment je lis, Simulacres et simulations2 où Jean Baudrillard évoque ce qu’il appelle l’hyper-réalité. Non seulement la réalité n’est plus qu’une simulation mais la simulation en vient à se simuler elle-même. Il s’appuie sur la métaphore de la carte et du territoire3 empruntée à un écrit de Luis Borges pour illustrer ce terme d’hyper-réel.
Dans cette nouvelle la carte (donc la représentation) était tellement bien réalisée à l’échelle 1 qu’elle finissait par recouvrir intégralement le territoire. C’est une manière d’illustrer la vanité humaine. Ce que dit Jean Baudrillard c’est que c’est l’inverse qui se passe dans notre monde, le territoire est rongé petit à petit par la carte. Il disparaîtrait au profit de la simulation. Je cherche à m’approprier le visible et ce qu’il a d’intéressant à offrir. Je développe cette acuité dans ma pratique. C’est pour cela que c’est important pour moi d’améliorer sans cesse mes techniques de dessin, de peinture et d’informatique.
Je cherche à être capable d’avoir à ma disposition une palette d’outils la plus large possible entre académisme et technologie.
Je recherche une nouvelle manière de peindre, un nouveau geste.