L’HOMÉOMORPHE — Entretien
Léo Bioret : Qu’est ce qui caractérise ta peinture ?
Ernesto Sartori : Je considère ma peinture comme un moment qui m’appartient et en même temps une forme que je regarde presque comme le travail de quelqu’un d’autre, avec du recul.
Il n’y a pas de volonté précise dans mon action de peindre.
Chaque peinture à sa particularité mais ce qui les rassemble est peut être le paysage. Ce sont des surfaces plates où l’on peut se déplacer par le regard comme dans n’importe quelle image.
Ma production picturale est une forme de nécessité mais c’est d’abord une démarche économique et je ne pense pas qu’il y ait réellement une nécessité à ce que j’ajoute une peinture à la réalité. Les peintures se font un peu toutes seules.
La peinture est un espace puissant où j’atteins une forme de liberté sans grands moyens et sans faire de mal à personne. C’est exponentiel, en quelques lignes je peux me déplacer ailleurs.
J’aime bien que l’on puisse parfois donner une réponse à la peinture et parfois pas, la maîtriser où ne pas la contrôler.
Léo Bioret : Ce déplacement dont tu parles, se trouve aussi dans ton geste qui efface, déplace, déconstruit pour essayer d’arriver à la mise en espace qui te convient le mieux.
Ernesto Sartori : Comme je suis tout seul dans cet espace je peux y intervenir comme je veux.
Je n’aime pas trop finir mes peintures, leur mettre un point final. Je travaille actuellement sur des peintures qui sont la suite directe de celles vues dans l’exposition INTER_. J’arrive au moment où le tableau se termine et j’ai très envie d’intervenir sur certaines parties mais le risque est que ça devienne moins bien à mes yeux.
Parfois je regrette ce dernier geste mais comme je vis avec mes oeuvres, je les regarde, je les côtoie et certaines zones picturales m’interpellent. Je réaménage l’espace du tableau sans vraiment savoir ce que ça veut dire. Je bouge les éléments jusqu’à satisfaction du regard. Déplacer les objets ce n’est pas exactement pareil que les peindre car pour déplacer les objets en peinture il faut déconstruire puis reconstruire.
Léo Bioret : Qu’est-ce qui arrête ton geste sur une peinture pour passer à la suivante ?
Ernesto Sartori : Je ne réalise pas mes peintures une par une alors je peux en commencer plusieurs avant de revenir sur la première. Mêmes si elles ne se ressemblent pas exactement elles sont assez reconnaissables, comme une musique dont on identifie tout de suite le musicien. Tous ces espaces ne sont pas exactement identiques mais ils découlent du même projet de pensée.
En ce moment j’essaye de finir un petit format horizontal. C’est approximativement un rectangle avec une perspective verte sur fond rouge et un horizon et l’on aperçoit un discret chemin sur la gauche. Dans le grand rectangle principal j’ai essayé plusieurs fois d’y peindre des éléments et à chaque fois j’ai échoué. Chaque ligne ajoutée à été finalement effacée. Donc je ne sais pas ce que je projette dans cet espace mais il est là, il existe en tant que tel, il acquiert une forme d’autonomie ; il n’est plus un simple contenant d’autres formes. Je crois que je pourrais continuer des années à tenter de mettre des objets dans cet espace.
J’ai donc terminé cette toile sur cet espace « vide », je m’arrête là puisque l’espace représenté ne peut rien contenir et je peux alors laisser vivre la peinture.
Léo Bioret : Ces intérêt pour, l’homéomorphie, la disposition, la multiplicité et la transformation d’une enveloppe physique et mathématique passent d’abord par un traitement du regard, une lecture afonctionnelle des formes et des espaces.
Quelles sont les formes et les enveloppes qui composent tes peintures ?
Ernesto Sartori : Dans les trois gouaches sur bois exposées à l’Atelier cet été, Titolo che si legge, Titolo decifrable et Titolo piano ; je considère les objets et les choses à l’intérieur d’un ensemble. A chaque fois que je représente quelque chose, apparaît aussi un quelque part qui pourrait être un espace plus ou moins communiquant dans lequel des éléments renvoient à des signes, lus comme des mots. Des fois ces signes sont plutôt satisfaisants dans la contemplation, dans la prononciation, dans la représentation ou la formulation. Comme dans un texte, une formulation est plus adaptée qu’une autre. Je crois que c’est comme si chaque élément était à la fois un objet et à la fois un contenant.
Plusieurs projets se déroulent en même temps dans ces peintures : l’espace aménagé, l’écriture et le paysage. Tous se côtoient dans le même cadre.
C’est à la fois un espace d’occupation et à la fois un espace sans fonction, non esthétique, où l’on va lire le monde autour de soi.
Je peins souvent des vues d’en haut, en plongée avec une certaine perspective et parfois un horizon.
Il existe une certaine omniscience dans mes peintures par ces vues d’ensemble.
Léo Bioret : Dans des espaces et des échelles qui s’étendent et se rétractent, les allers-retours que tu exerces produisent des répétitions d’objets et de formes dont on a l’impression de pouvoir les situer dans un quotidien et de connaître approximativement leur identité.
Ernesto Sartori : Je ne connais pas vraiment la matière des choses que je peins. Est-ce vraiment de l’eau où simplement un effet visuel s’en approchant ?
De temps en temps des situations que je rencontre quotidiennement sont emblématiques telles des anecdotes. Par exemple la situation physique et géographique d’un cimetière que je vais arpenter d’un point de vue des échelles et du rapport entre les formes va me rapprocher d’une généralité, de l’idée de ce qui les caractérisent, de ce qu’on en connait. Je peins de cette manière.
Un autre exemple parlant, les brocantes où l’on retrouve pleins d’objets mis les uns à côté des autres. C’est une pratique que j’apprécie de mêler des objets, de les disposer, de les regarder et d’interagir avec.
À Bruxelles il y a des travaux, la ville continue de changer même si ce n’est parfois pas de bonnes idées mais elle reste la ville que l’on connait. C’est assez étrange de se dire qu’il n’y a pas de version définitive d’une ville et peut être que les espaces que je peins sont les versions d’une ville en travaux dont on reconnaît un peu les formes.
Je ne cherche pas à créer la meilleure version de chaque peinture ou de chaque objet.
Je peins pour exister.