En filigrane

OLIVEOLIVIER — Entretien, 2015

OliveOlivier, Dieu est mort, 2012.

Cette discussion marque les enjeux linguistiques et la diffusion orale du travail d’OliveOlivier. Rassembler ces deux formes de dialogues est également l’occasion pour l’artiste de faire découvrir son univers artistique et ses problématiques actuelles. Les propositions musicales apparaissent à la manière de courtes introductions à l’écriture des réponses et sont inspirées des écoutes de l’artiste sur le moment. Cette rémanence musicale permet d’accéder à un deuxième degré de lecture de l’entretien.

Robert Johnson, Preching Blues, The Complete Recordings, Columbia, 1996.

Léo Bioret : Tu utilises un pseudonyme. Pourquoi as-tu fais ce choix d’OliveOlivier comme « nom d’artiste » ? Comment s’est opérée et s’opère encore cette dissociation entre l’artiste, créateur et initiateur d’écrits et la personne derrière, l’être penseur qui expérimente la vie ?

OliveOlivier : J’ai imaginé ce nom d’emprunt il y a une douzaine d’années, lorsque j’ai commencé à créer dans le domaine des arts visuels. Jouer sur la redondance de mon prénom me permettait de signifier que ma vie et mon art s’interpénétraient au point de ne former plus qu’un.

À l’époque, je réalisais entre autre des performances car j’appréhendais ce médium comme une possibilité de confusion des genres, d’un jeu sur les frontières labiles entre vie et art. Depuis quelques années, j’ai tendance à quelque peu dissocier les domaines privé et professionnel. Mon vécu imprègne toujours mon travail, et réciproquement, mais de façon moins flagrante ; c’est plus de l’ordre d’une impression « en creux ».

Toutefois, l’importance que j’attache à la langue, et plus particulièrement à l’écrit, est bien une constante qui se retrouve à la fois dans ma pratique artistique et dans ma vie quotidienne.

Erik Satie,  Avec étonnement, Oeuvres pour piano, Jean-Joël Barbier, Accord, 2000.

Léo Bioret : Comment l’écriture a-t-elle porté ton travail plastique ? À quel moment as-tu fais cette rencontre avec la trace écrite, puis avec la trace comme témoin du temps ?

OliveOlivier : C’est un peu un rendez-vous, à rebours, ma rencontre avec l’écrit et la trace. Je ne suis pas du tout ce qu’on pourrait appeler un « lecteur », et encore moins quelqu’un qui a une pratique régulière de l’écriture. Mais, paradoxalement, le lien que j’entretiens avec le texte est relativement fort ; il m’a juste fallu beaucoup de temps pour m’en apercevoir. De façon assez improbable, c’est grâce à ce que j’ai pu écrire en certaines occasions que je me suis créé des opportunités inattendues.

Il y a quelques années j’avais par exemple décroché un contrat d’assistant disquaire en écrivant une critique musicale. J’avais également accepté de rédiger de succinctes biographies d’amis et relations (musiciens, photographes, vidéastes) qui me l’avaient demandé, etc. Mais ce n’est qu’assez récemment, en rencontrant un institutionnel du monde de l’art, que j’ai pris conscience grâce à lui à quel point l’écriture était prégnante dans mon travail de plasticien. Il m’a tendu un miroir sur ma création, un point de vue à la fois professionnel et subjectif, mais qui m’a permis de m’apercevoir de l’évidence de la chose. Au préalable, je m’étais également rendu compte – là encore il m’a fallu l’aide de quelqu’un, en l’occurrence un ami proche – que toutes mes recherches d’alors avaient déjà pour axiome la notion de trace(s).

Lucida Williams, Hard Times, The Soul Of A Man (music from the motion picture), Columbia, 2003.

Léo Bioret : Tu intègres également l’écriture dans ta pratique, en tant que langage et mode d’expression par la citation. As-tu par celle-ci une volonté temporelle dans ton travail en questionnant l’éphémère, l’apparition ou encore l’action ?

OliveOlivier : Les citations, ces béquilles de la pensée, étaient au départ à la fois une déformation professionnelle et un outil qui m’a permis de faire la transition entre mon ancienne activité de médiateur culturel et celle de plasticien. Au fil du temps, je m’en suis détaché pour n’y avoir recours qu’avec beaucoup plus de parcimonie et de façon elliptique. Aujourd’hui je fais appelle aussi bien à ces dernières (Quand on touche le vide, on heurte le plein ou Less is more) qu’à des expressions idiomatiques (Décrocher la lune, Je m’en tamponne le coquillard), ou des concepts (Dieu est mort, Ego). Au final, de façon plus générale et englobante, le langage constitue pour moi une matière première dans laquelle je pioche pour mettre en scène un répertoire de formes. Jusqu’à maintenant, je me suis essentiellement concentré sur l’écrit, ce qui me permet d’allier les deux notions inhérentes à mes recherches plastiques, à savoir les traces et le langage. Je crée donc des empreintes visuelles, parfois à la limite de la perception, où le regardeur a un rôle prépondérant : elles lui demandent une participation active. Dans cette optique, la temporalité de la réception de mes réalisations peut être une question centrale (Cache ta vie ou Jean-Christophe). Le public peut même être l’élément sans lequel l’apparition de l’œuvre ne peut advenir ; je pense ici à Ceci est un palimpseste.

En fonction des scénarios que je veux mettre en place, je crée des dispositifs à partir du média qui me semble le plus pertinent pour cela et, tel un mouvement de balancier, mon travail a tendance à osciller entre deux pôles : apparition/disparition, pérennité/éphémère, etc.

Kindhearted, Woman Blues, Deep River of Song: Alabama (The Alan Lomax Collection), Rounder, 2001.

Léo Bioret : N’ayant pas eu l’occasion de parler avec toi de ton intervention au Blockhaus en novembre dernier avec la présentation de la pièce Less is more, peut-on revenir sur ce travail ?

OliveOlivier : Pour la première présentation publique de Less is more, je me suis risqué à un parti pris qui, selon moi, tenait plus de la gageure que du parcours balisé : n’exposer qu’une seule œuvre, qui ne dure qu’une minute et quarante-deux secondes, et qui est relativement radicale : minimale et évanescente. C’était également un défi technique : au moindre dysfonctionnement, l’œuvre pouvait ne pas s’activer ce qui avait pour conséquence immédiate que le public ne voyait, littéralement, rien ; il restait plongé dans le noir le plus complet. C’est pour cette raison que tout (scénographie, timing, etc.) avait été réglé comme du papier à musique. Les diapositives dont je me sers dans cette pièce ont été confectionnées pour l’occasion et avec une précision au centième de millimètre. Pour les réaliser, j’ai travaillé avec Serge Koutchinsky, photographe et spécialiste des projections diapo, grâce auquel cette pièce a ainsi gagné en intensité. Je me suis également adjoint les services de différentes personnes, dont ceux d’un vidéaste, Mac Néma, un ami avec lequel je collabore sur différents projets depuis un temps certain.

Cette oeuvre est donc tout autant l’histoire de rencontres humaines et artistiques que d’un long et patient processus de création : il m’a fallu deux ans de recherches à tâtons, d’expérimentations, pour arriver à la forme qui a été présentée en novembre dernier.

En somme, je pense que Less is more représente pour moi une synthèse partielle de mes préoccupations plastiques : c’est un travail que je tenais absolument à présenter au Blockhaus DY10 de Nantes, car ce dernier me permettait de créer un tout cohérent, une mise en abyme contextuelle où je pouvais utiliser des notions qui me tiennent à cœur. In situ et tautologique, cette pièce est une œuvre minimaliste, qui parle d’architecture minimaliste dans une scénographie minimaliste.

Cet espace d’exposition, on ne peut plus brut de décoffrage, était par conséquent des plus indiqués. Mais, en résumé, c’est également un travail sur le point de vue, sur l’éphémère, une installation sensorielle qui cherche à manifester l’immatériel, à rendre visible l’invisible sous une forme qui se situe entre la performance, le vernissage et l’exposition.

John Hammond Jr, Me & the Devil, John Hammond, Vanguard, 1964.

Léo Bioret : Te considères-tu comme un narrateur de la trace ? Les explications et l’histoire de chacune de tes œuvres ont une place singulière dans tes processus de création ? C’est important pour toi de faire connaître et montrer cet aspect très proche de la médiation comme une pratique artistique ?

OliveOlivier : Il y a dix ans, je t’aurais cité F. Schlegel pour qui « chaque artiste est médiateur pour tous les autres ». Aujourd’hui, je te répondrai que si j’ai été médiateur culturel, cela me constitue, indéniablement, mais ne me définit pas, encore moins aujourd’hui. J’ai également été mouleur en béton, professeur et formateur en histoire de l’art, agent de nettoyage, assistant disquaire, organisateur d’événements culturels, etc. Je suis surtout une éponge et, tel un mille-feuille, je suis également la somme de tout cela et d’autres choses à venir.

En tant que tout jeune plasticien, je n’ai pas d’autre choix que d’avoir plusieurs casquettes, par exemple d’être successivement un peu scénographe, graphiste, médiateur, etc. de mon propre travail. De la production à la communication en passant par la diffusion, je gère différentes activités. Même si parfois cela peut être un peu chronophage et « schizophrénique », je considère plutôt cet état de choses comme une forme de luxe : je peux contrôler et maîtriser comme je l’entends cette chaîne d’opérations incluses dans le processus créatif. C’est ce que j’avais particulièrement apprécié il y a près de deux ans à l’occasion de mon exposition Palimpseste/trace(s) à l’Atelier Alain Le Bras, toujours ici à Nantes. Je m’étais entouré entre autre d’un muséographe, d’une infographiste, d’un éditeur et d’une médiatrice. Parallèlement à cette manifestation, j’avais réalisé et publié avec l’aide de ces personnes un catalogue qui pouvait constituer une trace de cette présentation publique de mes travaux. Pensé plus comme un livre d’artiste que comme une simple compilation de mes œuvres, j’ai essayé de faire en sorte qu’il soit un objet qui parle, de par son contenu et sa forme, de mes recherches plastiques. J’ai cherché à créer quelque chose qui puisse générer du sens.

Johann Sebastian Bach, Variation 26, The Complete Goldberg Variations, Glenn Gould, Sony, 2002.

Léo Bioret : Merci pour l’exemplaire de l’Empreinte – relevé sonore 29/100 à la fin de ton catalogue, je ne l’ai découvert qu’hier en me replongeant dedans ! Peux-tu m’en dire plus sur ce procédé ?

OliveOlivier : C’est dans le but de réaliser un tout cohérent que j’ai imaginé incorporer une œuvre à ce catalogue. Je tenais également à « remercier » concrètement ses souscripteurs, sans lesquels il n’aurait pas pu exister. Je souhaitais concevoir une création qui soit à la fois un multiple papier de petit format pour l’inclure dans l’ouvrage et une pièce spécifique pour celui-ci tout en ayant un lien fort, évident, avec l’exposition à laquelle il se réfère et avec mon travail de façon plus générale.

J’ai donc produit une Empreinte – relevé sonore de ce lieu d’exposition. J’ai enregistré avec un micro d’ambiance tous les sons émis dans cet espace au cours du montage, sans aucune distinction entre eux, et ce pendant cent minutes continues. A l’aide d’un logiciel de traitement du son, j’ai ensuite obtenu une version visuelle (un graphique stéréo) de cette matière brute. Je l’ai enfin sectionnée en cent parties égales d’une minute que j’ai imprimées, numérotées et signées. Elles sont par conséquent toutes différentes, uniques (d’où la mention « parmi 100 possibles »), bien qu’elles se présentent sous une forme de multiple.

Miles Davis, Freedie Freeloader, Kind of Blue, Columbia, 1997.

Léo Bioret : Il s’avère que la musique tient une place très importante dans ta vie. Tu as d’ailleurs souhaité mettre en exergue de chacune de tes réponses à cet entretien un disque pioché dans ta collection. Pourquoi ce choix ?

OliveOlivier : J’ai passé mon adolescence à écouter de manière quasi obsessionnelle du delta et country blues, tout en essayant d’en jouer. A cette époque, j’appréhendais la musique comme un exutoire, une catharsis qui m’a aidé à me construire.

A la fin de mon cursus universitaire, j’ai réalisé un mémoire de fin d’études sur Robert Johnson, ce « Faust du blues », génie mort à vingt-sept ans et n’ayant enregistré que vingt neuf chansons. Peu après, j’ai effectué une performance qui avait pour but de mettre à nu et à mort un personnage de blues que je m’étais créé. Au moment même où mourrait symboliquement ce musicien que j’avais incarné pendant plusieurs années, OliveOlivier naissait publiquement sur scène. J’ai arrêté depuis toute forme de pratique musicale, et ce sans une once de regret, d’amertume ou de nostalgie ; je me suis simplement rendu compte que j’avais plus d’histoires à raconter dans le domaine des arts visuels que dans celui de la musique. Néanmoins, je garde toujours un lien très fort avec cet art : j’en écoute toujours beaucoup, je collectionne les disques et je fréquente régulièrement les salles de concert. J’envisage ainsi cette forme d’expression artistique comme une façon d’accompagner et de rythmer mon quotidien. Très paradoxalement, si dans mon travail j’ai souvent recours à la citation (notamment à l’histoire de l’art ou à la philosophie), je ne me suis pas encore référé au monde de la musique, exception faite de l’Empreinte – relevé sonore. Mais je pense que cela viendra, naturellement ; c’est juste une question de rendez-vous.