Cat Fenwick

LE VIDE BIEN REMPLI — Entretien

Léo Bioret : Tu es l’artiste qui a présenté le plus d’oeuvres dans l’exposition INTER_, une présence réfléchit comme une dissémination dans le parcours : d’abord la discrétion de Nothing is always something, puis la curiosité des formes de L’unité des opposés et enfin la puissance de The temperature of transition et « l’explosion » de Se mélanger sans se fondre. Comment as tu perçu cette ponctuation dans l’espace?

Cat Fenwick : Ce déroulé n’était pas si perceptible durant la conception de la scénographie de l’exposition. Mais je trouve cela très réussi, ce que tu évoques, sur le temps d’apparition de mes pièces. En effet, au fur et à mesure du cheminement, les pièces semblaient davantage se marquer et s’installer dans l’exposition, assumant à chaque fois un peu plus leur déploiement. Cela me plaît, cette perception des oeuvres qui apparaissent graduellement de façon subtile.

Léo Bioret : L’une de tes récentes productions The temperature of transition (p. ) est une oeuvre, qui au contact des réalisations d’autres artistes, Irma Kalt et Chloé Jarry a totalement transformé la lecture de l’espace en créant des vibrations et des déformations visuelles. Comment as-tu pensé cette pièce et comment a-t-elle existé dans l’espace d’exposition ?

Cat Fenwick : L’oeuvre The temperature of transition, aux frontières de la sculpture et de la maquette de paysage, évoque autant la topographie d’un lieu fictif avec ses différentes strates de sédimentation, que des sculptures organiques, molles et évolutives. C’est un regard sur la nature où se côtoient diverses échelles de représentations.
Les plateaux réalisés avec plusieurs essences de bois en contreplaqué et M.d.f teinté dans la masse. empruntent autant par leurs formes à l’univers de la modélisation qu’à une sédimentation naturelle. Ces différentes couches appelées en géologie « horizons » confèrent à l’installation l’idée d’un temps où les éléments s’assemblent par accumulation.
On se demande si les formes croissent avec ces volumes en verre soufflé comme sommet ou au contraire si ce sont les masses en verre qui par leurs poids augmentent l’attraction terrestre et disparaissent s’affaissant un peu plus vers le sol.

La pièce oscille entre un temps figé et un mouvement qui se fait au goutte à goutte à une autre échelle du temps, non perceptible à l’oeil nu. Irréductible à une interprétation unique, je souhaite que l’installation ne véhicule pas de message, mais qu’elle soit davantage une expérience physique.
Cela me fait plaisir à chaque fois de percevoir que l’art, par l’exposition, a la capacité de nous faire lire l’espace différemment et vice-versa. Les différents espaces de monstration ont tendance à nous présenter les oeuvres sous un autre angle. Je cherche souvent à trouver une certaine symbiose entre ces deux parties pour qu’on ait l’impression que sans l’un ou l’autre, aucun des deux n’existerait. Je pense qu’en étant sensible aux moindres détails, cette harmonie a la place à vivre. Il ne faut pas avoir peur du vide car c’est exactement dans ce juste milieu, entre l’espace architectural et les oeuvres, que les éléments peuvent se lier et s’interpénétrer.

La manière dont l’oeuvre d’Irma Kalt (Depuis Toujours, Diva) se reflétait et se déformait au travers du verre était intrigante. On avait l’impression que cette installation en verre accueillait l’autre pièce en lui donnant une lecture différente par la diffraction de ses lignes, la rendant elle aussi en mouvement.

Léo Bioret :Comment est-ce possible de réaliser des œuvres qui mettent autant à l’épreuve les matières où en tout cas notre regard sur les matières?

Cat Fenwick : Je prends cette question comme un compliment. Je pense que ça prend du temps, demande de la patience et procure beaucoup de plaisir à jouer avec n’importe quelle matière qui m’attire. C’est un plaisir physique, similaire à une danse. Je cherche à trouver tous les mouvements possibles, tous les gestes et à intégrer toutes les erreurs et les imprévus. Je prends le temps de comprendre l’éventail de potentialités que m’offrent les matériaux.

Léo Bioret : Tu me confiais au début de cette exposition vouloir retrouver le côté paisible d’une promenade sur la plage (une expérience du paysage vécue lors d’une résidence au Danemark en 2019). Qu’est ce que ça veut dire ?

Cat Fenwick : Je souhaite en créant des pièces épurées, qu’émanent d’elles un aspect paisible mais pas seulement. Le fait de laisser la matière nue, non peinte, à son état premier presque neutre, permet de voir la trace et l’empreinte du geste.
Je veux que mes sculptures soient « déchargées » de tout superflu, d’artifice, d’éléments en trop, comme si on les trouvait lors d’une ballade sur la plage !
Qu’elles soient appréhendées physiquement, avec une sobriété « intrinsèque » tant par le geste déployé que par son aspect final.

Léo Bioret : Parlons de l’infini et de l’indéterminé, deux notions qui ne te sont pas inconnues, que tu côtoies et que tu transformes au fil de tes oeuvres.

Cat Fenwick : Ce qui m’attire dans le concept d’infini est qu’il est tellement difficile à comprendre, si immense, que rien ne peut le contenir. Il y a une grande liberté dans cette idée du « sans fin », d’un espace sans limites, pour qu’une artiste se sente vraiment libre comme créatrice de possibles.

L’indéterminé est plutôt une sorte de lâcher prise très jouissif. Je pense souvent que naturellement  les êtres humains ont une envie innée à vouloir tout comprendre. Ils souhaitent encadrer le monde avec des connaissances, pour se sentir en sécurité et avoir l’impression de tout maîtriser. L’indéterminé nous montre pourquoi c’est agréable de lâcher la sensation de contrôle sur tout. Les matériaux, avec lesquels je travaille fréquemment, m’aident à apprendre ce lâcher prise et à accepter les aléas de la matière, non comme une fatalité mais comme de nouvelles possibilités.