LES SENS ET LE SON — Entretien
Léo Bioret : Les chantres, qu’est ce que c’est ?
Blandine Brière : Les chantres sont par définition des chanteurs liturgiques, ce sont aussi des personnes qui glorifient et louent.
Bien après l’exposition je me suis souvenue d’une émission de radio où l’auteur de théâtre Valère Novarina parlait des nombreuses typologies de personnages qui reviennent dans son travail de mise en scène. Dans l’un de ses textes1 il nomme un certain type de narrateurs des chantres. En l’entendant parler je me suis dis que ce terme convenait bien aux personnes que je faisais intervenir dans mon installation ; des personnages qui ont tenté de voler donc tenté de nous raconter une histoire et de faire partie d’une histoire.
Léo Bioret : Qui sont ces personnes représentées sur les portraits des douze cyanotypes ?
Blandine Brière : Je considère ces personnes comme des artisans du vol. J’ai essayé de raconter une certaine chronologie entre la tentative d’invention d’un costume-parachute de Henry-François Reichelt au début du XXème siècle, le record d’altitude de la première femme aviatrice au monde, Élisa Deroche jusqu’à l’exploit beaucoup plus récent de la chute libre de Felix Baumgartner en 2012. Les choix que j’ai fait de représenter ces personnalités sont très variables. On retrouve par exemple plusieurs artistes qui ont abordé le vol de manière métaphysique : Yves Klein et sa photographie, Un homme dans l’espace ! Le peintre de l’espace se jette dans le vide !, Panamarenko, le poète de l’échec qui n’a jamais testé une seule de ses machines et Vladimir Tatline qui conçoit de manière utopique l’ornithoptère.
Léo Bioret : Ce qui réunit toutes ces histoires, c’est la notion de vol comme expérience.
Blandine Brière : Ce qui a pu dessiner mes choix c’est effectivement la tentative et l’expérience du vol et l’extrême de l’expérimentation. Le fait qu’ils n’aient pas tous réussi est d’autant plus intéressant que l’idée du vol. Pour certains la machine est plus intéressante que l’action. Dans cette sélection on retrouve aussi des pionnières comme l’aviatrice américaine Amelia Mary Earhart, célèbre pour avoir traversé l’océan Atlantique en solitaire ou encore Bessie Coleman, la première femme d’origine afro-américaine à détenir son brevet de pilote en 1921. Toutes ces femmes pionnières et tous ces hommes qui se sont distingués dans leur temps se retrouvent dans une sorte de quête.
Léo Bioret : Ton installation développe une sorte de légende autour des portraits par la forte dimension narrative de la « mise en scène » des médailles.
Blandine Brière : Oui, car chacune des personnes représentées dans cette installation a son histoire et une histoire racontée sur elle.
Dans les biographies il y a toujours un ton narratif, voir un peu fictionnel. La médaille était une manière de souligner leur histoire mais sans les nommer directement. Leur image, leur visage et leurs traits sont là. Mettre quelqu’un en effigie sur une médaille, c’est le transformer en « héros ». La médaille est remise en récompense, comme une distinction, un honneur. Cette installation est une sorte d’hommage, mais surtout une mise en abîme du vol, du spectacle et plus largement de l’art et de l’artiste.
Léo Bioret : Comment as-tu pensé la diffusion du son pour concevoir cette pièce ?
Blandine Brière : J’ai utilisé autant de hauts-parleurs que de médailles. Douze transducteurs diffusaient le son à partir de chaque support métallique qui devenait alors la membrane du haut-parleur. Chaque point de diffusion et donc chaque portrait avait sa propre bande-son. Les douze étaient mixées ensemble pour faire une seule pièce comme autant d’instruments. Le son avait une couleur métallique comme sortant de la carlingue d’un avion et il se dégageait quelque chose de froid avec le bleu typique du cyanotype des grands portraits suspendus.
Léo Bioret : Qu’entendait-on dans l’exposition ?
Blandine Brière : Des rires, des applaudissements et des huées, des réactions caractéristiques du monde du spectacle, de la force du collectif et de la masse. Pour chaque portrait j’ai identifié une personne à l’origine de ces bruits que j’ai enregistrée. Dans l’installation l’individualité était plus palpable car les bruits se diffusaient tour à tour puis se rassemblaient.
La réverbération spécifique de l’Atelier aidait les son à se lier parfaitement aux bruits de passage des visiteurs.
Les silences faisaient partie de la pièce parce qu’ils laissaient passer le son des hauts parleurs bas et liaient le son direct et le son diffusé. Ils laissaient la place à ce qu’il se passait dans l’exposition.
Léo Bioret : Le son est pour toi une matière concrète que tu conçois comme un volume.
Blandine Brière : Je suis dans une posture d’observation du son. J’ai l’impression de le sculpter puisque je peux le travailler comme une perspective. Les sons peuvent paraître proches, lointains et certains vont être plus ronds ou aiguisés. J’ai vraiment l’impression de pouvoir donner une forme au son, c’est une composition.
Je peux donner à entendre de manière précise au spectateur la spatialisation. En pointant des sources différentes dans un espace, le son va s’y déplier. Il résonne dans l’espace qui va lui donner sa signature. C’est un régulateur qui fait ressortir l’identité propre d’un espace et inversement.
L’Atelier racontait déjà une histoire. Quand j’ai vu cette grande salle de réception vide la première fois, ça m’a tout de suite donné envie d’y faire quelque chose. Elle est toute en longueur, surplombée par une charpente découpée aux poutres apparentes dont les constructions triangulaires entre arbalétriers, poinçons et entraits dessinent fortement le plafond.
Afin de faire un clin d’œil au Prix de la Ville de Nantes, cette salle était idéale pour y faire apparaître les médailles. Cette pièce, Les chantres vient de toutes ces considérations.
Léo Bioret : La bande sonore accompagnait le mouvement de l’exposition, une ponctuation en plus de l’expérience spatiale. Cette œuvre que tu as réalisée émettait des pulsations comme le cœur de cette exposition.
Blandine Brière : J’ai recherché cette teinte sonore sans pour autant être dans l’envahissement. Les chantres parlait directement de cette exposition donc cela m’intéressait qu’on puisse l’entendre d’un bout à l’autre.
C’est cela le pouvoir du son de ne pas pouvoir l’enfermer.