ÉCRIN-ÉCRAN — Entretien
Léo Bioret : Deux idées portent ta réflexion, le jeu et l’écran.
Comment as-tu fais exister la deuxième sculpture composée de deux dés de buis sculptés présentés sur un socle en béton ? Quelle place a le jeu dans ta pratique ?
Samuel Paugam : L’idée du jeu se produit plus dans le déplacement que dans le support en lui même. Il existe un décentrement par rapport à l’objet. En tant que telle, la production est magnifiée et mise en évidence par le socle très lourd et conséquent.
Cet objet n’a pas du tout le statut de chef-d’oeuvre dans le sens où ce n’est pas quelque chose de précieux ni avec une facture très développée.
La question du jeu est dans la manière dont on peut faire glisser les points de vues jusqu’à l’illusion.
Dans cette pièce là je suis clairement parti de l’oeuvre de Guissepe Penone, le Cèdre de Versailles dans laquelle il évide un tronc d’arbre mort pour retrouver la forme première de l’arbrisseau. Je souhaitais appliquer cette action à la posture que l’on peut avoir par rapport au jeu et dans quelle mesure on peut atteindre cette permission de jouer avec les choses.
La posture du jeu avec ce qui nous entoure est évidemment d’actualité avec ce rapport à la nature et la dimension très écologique d’une telle réflexion.
Le titre de cette œuvre Ripetere il spettacolo veut dire « rejouer le spectacle, le répéter » dans le sens de remettre en jeu des postures de non-respect, qui passent au dessus. Etre fasciné par le jeu sans en mesurer les conséquences, c’est ça « rejouer le spectacle ». C’est rejouer la même chose mais de manière plus personnelle . Intrinsèquement chacun rejoue des choses, les réinterprète en créeant un support de transmission.
D’ailleurs, comment sommes nous décisionnaires et ancrés dans une histoire ?
Léo Bioret : Comment décrirais-tu l’écran en feuilles de pierre, Sans titre que tu as produit pour l’exposition INTER_ et qui officiait telle une introduction dans l’espace ? Cette sculpture invitait le regard sur elle puis sur les tableaux de Guillaume Mazauric dans le patio.
S. P. : Delphine Coindet évoquait le fait que les philosophes n’ont jamais porté d’attention aux choses souples, aux formes molles…
Que Sans titre puisse prendre le regard et en même temps s’en échapper est lié à la matérialité de cette sculpture mais aussi à son côté déchu. Elle est à la fois un drapé qui tombe et un écran, un support qui fait référence à l’architecture. C’est comme une épaisseur qui pose la question du réel et de sa perception pour ensuite glisser vers un autre travail.
L’idée est d’accentuer la matérialité, le concret de l’architecture et de la pierre qui et n’est finalement qu’une fine couche fragile et discrète. C’est un support avec des faces avant et arrière qui sont à peine mesurées dans la lecture et qui captent très fortement la lumière jusqu’à faire changer de couleur la pierre au fil de la journée.
Le cadre architectural de l’Atelier avec la poutre à laquelle la sculpture était suspendue et la courbe qu’elle déploie vers le sol aborde mon rapport au solide et à son état.
Mon travail montre des choses à un moment donné qui sont en retrait, qui sont à l’inverse du spectaculaire et c’est pour cela que je travaille sur la question de l’écran par rapport à cette dimension théâtralisante et illusioniste.
Evidemment c’est phénoménologique puisque l’on regarde quelque chose (il y a une vision, il y a un point de vue, etc) mais j’essaye de produire des allers-retours avec ce que l’on peut voir.
Nous pouvons donc nous arrêter, nous échapper, passer à côté mais je ne cherche pas à faire de l’image pleine qui va poser une injonction, qui va simplement remplir.
Je cherche dans mes images et mes espaces quelque chose dont on va pouvoir se défaire, passer du temps dessus mais avec un certain recul.
Et cela m’intéresse de déclencher un dialogue très ambivalent entre le minéral et le plan et l’habitat de protection qui pose une architecture. On n’habite pas seulement une construction, on peut aussi habiter un interstice, un espace entre-deux.
Léo Bioret : La force de ta proposition se joue dans l’interstice que tu as saisit. Loin d’un espace étroit et presque invisible, celui que tu révèles est monumental et il en génère un nouveau au milieu d’un espace.
Samuel Paugam : J’ai vraiment désiré cette présence, cette force et cette disparition en même temps, entre deux temps. Cette pièce génère des allers-retours entre une place et une existence.
Je me méfie des formes trop « pleines » et systématiques qui génèrent des sortes de « logotypes » de sculpture. C’est un rapport de signalétique au monde dont je veux me détacher pour ne pas arriver à une identification artistique par la forme.
Léo Bioret : Depuis quelques années tu évolues vers une écologie de l’esprit. Ta production est mise en retrait et tu gardes un lien avec la création sous la forme de recherches, de réflexions constantes et d’associations de formes et d’idées.
Pour l’exposition INTER_ tu as réenclenché une phase de production, qu’est ce que ça représente pour toi ?
Samuel Paugam : Le contexte particulier du confinement à modifié mon rapport au temps. J’ai donc produis dans un temps un peu libéré, ce qui était assez singulier comme mode de production.
Mes problématiques touchent l’oeuvre comme support de questionnement, qui est présentée et exposée.
Une œuvre n’existe pas sans spectateur, le regard la fait exister. Ce positionnement m’intéresse puisqu’il pose la question de l’oeuvre d’art qui n’existerait pas sans spectateur, des œuvres qui sont montrées mais qui s’échappent sans forcément sortir de la fonction.
On compare souvent le design et l’art en disant que l’art sort de la fonction et je n’en suis pas si sûr car il existe bien une fonction de la pensée.
La philosophie de Marie-José Mondzain sur la dimension symbolique du mur m’intéresse car c’est à la fois une épaisseur et un vide.
Dans l’image, dans la sculpture quelle part et quel espace vont être laissés à l’autre?