La Ruche édition

TALM Angers — Édition

Mylène Arnholt, Éva Aubouin, Maëlle Bléteau, Maël Enfrin, Zoé Ferraioli, Léo Janvier, Yesong Jhung, Samuel Lalier, Perrine Lancien, Charline Largeau, Rozenn Le Roux, Anne Lebréquer, Olivier Limousin, Elise Navarro, Maylis Poiget, Corentin Roturier, Héloïse Sailly

Pensée comme une prise de note, issue de mes échanges avec les diplomé•es 2023, cette retranscription fait la part belle aux nombreux questionnements des ancien•nes étudiant•es de l’école TALM-Angers. Ce large entretien thématique a déterminé l’écriture de l’exposition La ruche.

Tout au long du mois de mars 2024, nous avons parlé de leur émergence progressive en tant qu’artistes, de l’après école et de la recherche d’individualité dans une démarche collective.

Cet entretien contient deux parties :

une discussion avec, Maëlle Bléteau, Léo Janvier, Perrine Lancien, Anne Lebréquer, Élise Navarro et Héloïse Sailly ; et des extraits d’échanges avec, Mylène Arnholt, Eva Aubouin, Maëlle Bléteau, Maureen Desnos, Zoé Ferraioli, Yesong Jhung, Samuel Lalier, Perrine Lancien, Anne Lebréquer, Olivier Limousin, Élise Navarro et Maylis Poiget.

« La ruche », l’entretien

Le passage

Diplômé•es : Ce moment de césure marque une fin et un début à la fois. C’est à partir de la notion d’entre-deux que se caractérise ce passage.
Nous ne sommes pas encore à N+1 de notre diplôme et il faut déjà que l’on se place dans le milieu artistique et c’est assez compliqué car nous sommes remplis de questionnements et de doutes.
Ce qui caractérise cette période que nous avons vécue et qui est propre à notre expérience mutuelle, c’est le principe d’avant-après. Qu’est ce qui a perduré de nos pratiques issues du diplôme et qu’est-ce que nous avons laché ?
Comme si le contexte de l’école nous englobait dans quelque chose qui nous structure et après ça, cette liberté nous amène à repenser totalement l’art.

Léo Bioret : Le contexte de cette exposition est l’idéal pour présenter à la fois des réalisations présentées au diplôme, mais aussi les premières productions récentes, prémices d’une identité artistique à venir. C’est un moyen de créer une connexion entre les projets du DNSEP et les nouveaux.

Diplômé•es : -Ce qui participe aussi à ce changement, c’est le fait de sortir du contexte de l’école où nous avons la liberté des temps d’ateliers, le temps de se consacrer pleinement à notre pratique, l’accès aux outils, aux machines, aux équipes techniques, etc.
Quand on sort de l’école, tout ce confort de travail disparaît. La priorité de créer se voit noyée entre la gestion du temps, les boulots alimentaires et les candidatures. C’est une nouvelle temporalité à laquelle nous sommes confronté•es.
On repense sa pratique et on commence à s’intéresser à d’autres techniques, moins onéreuses, plus facile à mettre en place et à installer.
Garder ses images sur son ordinateur n’est pas une finalité, nous avons besoin de trouver un moyen de les imprimer et de les faire exister.
Maîtriser un procédé à moindre coût peut être une solution, et un moyen de faire évoluer sa production. Nous devons désormais nous adapter au contexte dans lequel nous reprenons la création et cela demande une grande souplesse.

Léo Bioret : Passer un cap, maintenir le cap ou changer de cap, dans tous les cas, ce passage du diplôme au contexte professionnel est une étape déterminante. Rien n’est écrit quand vous sortez de l’école.

Diplômé•es : Comment peut-on exister en tant qu’artiste quand il y a 10 000 façons de l’être ? Il ne faut rien lâcher !
Après l’école il y a des choses qui s’imposent à nous, des propositions inattendues aussi. C’est une manière de cheminer, de faire le tri.

Léo Bioret : La réponse à cette première question est donc l’idée de se positionner en tant qu’artiste. Exister artistiquement c’est dire, que vous êtes présent•es, maintenant, assumer ce que vous faites et réussir à s’affirmer.

Diplômé•es : Oui tout à fait. Il s’agit aussi de se trouver et de s’incarner à la fois artistiquement et personnellement. Il existe dans cette transition, une vraie dynamique de recherche de reconnaissance. Nous sommes dans l’attente, nous nous demandons ce qui va se passer, ce que nous allons faire et comment nous allons pouvoir être visibles ?
Les objectifs que l’on se donne après l’école peuvent être très divers : avoir un atelier, entrer en résidence, enseigner, générer des revenus artistiques…
La localisation joue un rôle important dans la professionnalisation de sa pratique artistique,: où est-ce que l’on habite ? À quel territoire on se rattache ?
Il faut se poser ces questions, sinon on stagne et en même temps, c’est écrasant.
Puis on se met en tête d’exposer. Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi exposer, pour qui ?
La difficulté réside aussi dans le fait de se donner des objectifs, de les atteindre ou d’essayer et d’avancer, mais aussi de réussir à prendre du recul.
On commence à se poser des questions qu’on ne se posait pas avant : comment faire pour prospecter, rentrer en contact avec des galeries, pour répondre à un appel à projet, faire un site internet ou faire des cartes de visite et à quel moment se lancer en tant qu’artiste professionnel•e ?
Ce passage se caractérise aussi par la recherche d’affirmation d’une identité artistique à travers un champ lexical que l’on est en train de tester et d’éprouver. Ces mots choisis, employés pour parler de notre art se déterminent aussi à ce moment-là. Ce sont les premières fois où l’on va parler de son travail hors du contexte de l’école.

Léo Bioret : Le discours sur l’art passe par l’appropriation de son propre vocabulaire. C’est une étape importante de parler de sa démarche artistique pour la première fois ! Cet exercice et ce contenu vous accompagneront toujours.

La promotion 2023

Diplômé•es : Ce qui est tout de suite ressorti ce sont les moments rituels où on était tous ensemble, souvent en fin de journée, autour d’une bière ou d’un café.
Ces moments informels nous ont aidé à nous lâcher pour parler de nos projets.
Cette dernière année était en plus très difficile car nous avions beaucoup de rendus entre le mémoire et la préparation du diplôme.
Si l’on doit relever des éléments communs à cette promo, c’est la « sensibilité » qui s’est imposée, à la fois dans la pratique artistique et dans les relations humaines entretenues.
Nous sommes passés par beaucoup d’émotions et d’états durant ces derniers mois : la fatigue, les pleurs, l’épuisement, l’aboutissement, la joie, le soutien, le stress, … Au milieu de tout cela, l’entraide a caractérisé le fonctionnement de notre groupe.
Ce partage de sensibilité était le meilleur moyen de traverser une même épreuve.
Dans cette grande confusion émotionnelle, cette ligne directrice du diplôme nous a maintenu•es à flots.
Quelques thématiques sont assez caractéristiques de nos pratiques artistiques mutuelles : l’invisible, les histoires ou encore la révélation. Il y a toujours quelque chose de l’ordre de la narration qui revient dans nos installations, vidéos, travaux sonores, processus et réflexions sur l’image.
La première chose qui m’est venue à l’esprit c’est le moment où l’on a découvert tous nos mémoires côte à côte. Les différences étaient flagrantes en termes de formes et de fonds. Tout était éclectique et divergent. Dans la restitution du sujet du mémoire, on retrouvait de la narration, du travail documentaire, de la philosophie, de la poésie, etc.
La poignée d’individus que nous étions, qui se côtoyaient tous les jours, s’individualisait et se détachait du groupe par cet objet du mémoire.
La restitution du mémoire a marqué le moment où l’on s’est retrouvé et où le chemin vers le diplôme a commencé. En DNAP on était plusieurs de cette promo répartis soit en art soit en textile, puis la quatrième année était l’année des stages et des Erasmus, nous n’étions donc pas vraiment à l’école et entre-temps il y a eu le Covid.
L’instant où l’on a tous•tes posé les mémoires sur la table a vraiment été une nouvelle rencontre, nous nous sommes redécouvert artistiquement. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à parler des enjeux des un•es et des autres. C’est là que la cohésion de la promo a vraiment commencée. Nous nous sommes dit : « Tout le monde aura son diplôme ! »
Concrètement, c’était la première fois où nous avions un objet concret sur lequel on avait bossé pendant plusieurs mois et tous ces projets de mémoire entraient sur une et même table, dans un espace hyper restreint où l’on pouvait d’un seul coup d’œil, voir l’intégralité du travail de toute la promotion 2023 !

Individu et collectif

Diplômé•es : Deux jours après les diplômes, les journées professionnelles ont eu lieu et c’était le premier temps d’accrochage collectif que nous avons expérimenté.
Les différentes propositions ont très bien fonctionné pour chaque accrochage collectif. Les œuvres se répondaient et l’individualité de chacun•es était parfois irreconnaissable dans la lecture des œuvres.
Malgré les difficultés individuelles, collectivement cette expérience de la dernière année et du diplôme a été un carton plein !
Nous nous sommes réunis lors de ce moment d’attente des résultats qui tombaient progressivement pendant une semaine.
Nous avons effectué un relais pour se soutenir et s’aider sur les installations des un•es et des autres, jusqu’au bout, jusqu’au dernier jour et jusqu’à la dernière personne à passer son diplôme.
Nous sommes également tous•tes identifiables artistiquement et cette existence individuelle va de pair avec la peur de ne pas réussir à faire dialoguer toutes nos œuvres et de ne pas trouver de cohérence avec l’entièreté du groupe dans l’exposition, « La ruche ».

Léo Bioret : Comment trouver une cohésion artistique dans ce projet d’exposition de La ruche ?

Diplômé•es : En gérant les proportions des projets, en créant du lien entre les œuvres qui utilisent les mêmes supports, en pensant une scénographie qui propose plusieurs axes de lecture dans l’exposition, en identifiant les contraintes liées à l’accrochage et les caractéristiques du lieu, en changeant l’échelle de certains projets pour dynamiser le niveau de lecture, en pensant une sélection d’œuvres cohérentes, en travaillant ensemble sur le plan et en anticipant. La réponse modulable à la gestion de l’espace va aussi nous aider dans les projets d’installation afin de rendre visible chaque œuvre en respectant l’espace collectif et individuel.
La prise de conscience de l’autre et de son travail est un élément crucial sur ce projet. Nous connaissons bien nos pratiques mutuelles mais l’observation et la discussion sont hypers importants. Cela nous aidera à trouver un équilibre et à trouver sa place au sein de l’exposition. Certaines personnes ont des projets plus volumineux que d’autres, nous ne devons donc pas penser de manière proportionnelle sur la répartition de l’espace.

Léo Bioret : Vos idées sont bonnes. Découvrons l’exposition !