Le carabe et l’entropiste

YAN BERNARD — Entretien – texte d’artiste, 2018

Yan Bernard, Entropie, acrylique à l’aérographe sur papier bristol 65 × 50 cm, 2018.

Texte hybride produit à partir des des échanges avec l’artiste en février 2018 lors dans sa résidence dans l’atelier du département de soins de suite du CHU Angers.

Il suffit de détourner l’attention pour changer le cours d’une perception.

Yan Bernard fait confiance au regard et au comportement observateur de notre proche milieu. La considération d’une perception fictionnelle et transposée qui s’en suit est la conséquence des processus chers à l’artiste. Une pratique de l’image qu’il appuie sur la technologie, le prélèvement, et l’entomocénotique1.
Il s’est forgé un œil fasciné, une attention cellulaire et une écoute2 de son environnement. Son expérience s’est déterminée à travers la peinture, par la transformation et l’ambiguïté.

Yan Bernard a développé une sorte d’acuité, une précision dans ses déductions. La pertinence de ses observations, le mène à une typologie spécifique, un système de création déroutant où sont développés différents degrés de dispersion artistique.

Quant aux insectes, ils nécessitent des conditions précises qui mènent à l’étude. Ils sont à la fois très visibles et se fondent à merveille dans leur environnement. Des capacités effectives du camouflage réinterprétées par l’artiste, qui personnalise les points de vues par une familiarité, la déviation.

Le chercheur se définit comme peintre et inversement. Il utilise des systèmes de réception visuelle inusités pour créer des images et les interroger. Il développe des jeux formels de mises en scène des rapports de forces dans la toile et s’applique dans une considération philosophique et scientifique du détail et de sa dimension spatiale.

Du vide se propage des formes hybrides, typiques des intentions de Yan Bernard : architectures symptômes, aquarelles numériques et sculpture virtuelle. Sa conception s’appuie aussi sur un travail sériel de cohabitation évolutive fonctionnant par sous-séries. Innovatif et joueur, il pratique le désordre et la néo-utilisation comme unique liberté.

L’entropie caractérise le désordre microscopique d’un système et son degré de désorganisation, une transformation constante dans les mécanismes créatifs de Yan Bernard et c’est le titre qu’il choisit, représentatif de cette résidence, Entropie, 2018.

Il prend de plus en plus de distance avec le réel de référence. Ses matrices de travail sont développées à partir du plan et des perspectives du bâtiment qu’il emprunte et de nouveaux panoramas leurrés par le pouvoir de l’image informatique.

De récentes maîtrises d’outils, de tests et de découvertes, produisent des créations aux effets visuels contradictoires interrogeant, à un autre stade, le geste de l’artiste et la tangibilité de l’oeuvre au sein de réels inédits. Moteur de rendu de la lumière, programme holographique, système de réalité augmentée, vues aériennes pixelisées à la main et perspectives projetées à l’eau ; les cheminements de l’artiste ont soulevé un autre rapport à l’objet par les filtres, les applications, le mouvement, l’espace virtuel et l’observation par procuration.

Conçue pièce par pièce à l’imprimante 3D, Expansion I est la pièce à la plus longue réalisation.

Cette démonstration en cours de réflexion, c’est le drawbot, un dessin réalisé par un robot de type polargraphe. Le dispositif dessine le modèle verticalement à l’aide d’un stylo, de moteurs, de cordes et de contrepoids.

  1. L’entomocénotique ou entomosociologie, est la science qui étudie les peuplements d’insectes par rapport à leur milieu, basée sur le principe de la phytosociologie. Dans un secteur géographique et climatique donné, on trouvera presque toujours les mêmes ensembles de plantes chaque fois que les conditions stationnelles identiques seront réunies. ↩︎
  2. Sa culture de l’écoute fonctionne de la même manière que son approche artistique, avec un décalage pour arriver à un niveau d’appréhension personnalisé. Le processus d’écoute l’intéresse, les dissonances, le rythme, les ruptures et l’inattendu comme autant de paramètres de conception. Yan Bernard écoute la musique comme un jazz. « Au début, on n’entend pas et à force, tout s’éclaircit. La liberté de la musique qui n’est pas dans l’attendu et le lissé, c’est intéressant » ↩︎
  3. Stilleben, « vie tranquille », nature morte allemande. ↩︎
  4. Série de dessins, Propagation, 2015. Dessin-cyanotype, dessiné à la main, déformé par une action numérique et retranscrit par le cyanotype, sur papier Montval de 50 cm x 40 cm. ↩︎
  5. Série d’aquarelles numériques, Doppelgänger, 2014. Réalisées à la palette graphique et imprimées en digigraphie sur papier Montval aquarelle. ↩︎
  6. SIG, Système d’information géographique qui gère tout types de données spatiales et géographiques. ↩︎
  7. Série de peintures, Games architecture, 2013-2014. ↩︎
  8. Installation modulable, Voxel I, 2014. Assemblage avec des colliers de serrage, images issues de Google Street View imprimées sur mille modules en Formica pur ↩︎
  9. Série de peintures, Anomalie, 2014. Acrylique et glycéro, captures issues de Google Earth et retravaillées sur Google Sketchup ↩︎
  10. Série de gouaches d’autoroutes, Paralogisme routier, 2018, images empruntées à Google Street View ↩︎
  11. Le bleu, une utilisation récurrente dans la pratique de l’artiste. Un choix, une obsession qui permet un détachement du réel. Entre séduction et neutralité, éther et spirituel, cette couleur nous déplace simplement vers le ciel à travers cette longueur d’onde que nous renvoie les molécules d’air. « Je choisis de travailler avec du bleu car j’aime son rapport rétinien, il s’opère une sorte d’attraction et une prise de distance au même moment. Finalement les choses bleues dans le réel naturel il y en a peu. Cette rareté me plait. » ↩︎
  12. Périphérique adapté au matériel Microsoft et permettant de contrôler une interface sans utiliser de manette. ↩︎