AMANDINE PORTELLI — Entretien
Le projet « Perspective » présente sous la forme d’une soirée vidéos – live et d’une exposition, les connexions temporelles et visuelles de l’artiste Amandine Portelli entre dessin, vidéo et performance.
Entracte
Léo Bioret : Accueillie dans la Cabine par le collectif BLAST, le mois de mars te permet de mettre en forme et en scène le projet, Perspective. Quel est ton programme de travail pour les semaines à venir, comment est-ce que tu investi les lieux et l’espace de la Cabine entre l’exposition et la soirée de projection ?
Amandine Portelli : D’abord par une mise en espace puis un temps de création in situ. Les premières semaines passées dans la Cabine me permettent d’installer le cadre de mon projet : cloisons, lumières, matériel vidéo et obturation des fenêtres pour faire le noir et enfin les premiers tests audiovisuels.
Léo Bioret : Il existe aussi, ce moment où tu vas préparer ta soirée de performance pour ENTRACTE# sous la forme de répétitions.
Amandine Portelli : Le début de cette « résidence » coïncide avec un temps de travail dédié à la mise en place de ma performance vidéo.
La soirée de projection aura lieu dans la Cabine, au sein de l’exposition encore en montage le mercredi 22 mars 2017. Je répèterai donc cette performance en plusieurs sessions dans l’espace de la Cabine.
Le soir d’ENTRACTE sera une sorte de représentation.
Léo Bioret : Peux-tu nous en dire plus sur le déroulement de cette soirée de « vidéos – live » ENTRACTE # PERSPECTIVE ? Comment fonctionne les deux performances Silence ! et Perspective ?
Amandine Portelli : La première performance, Perspective, réactive une vidéo qui existe déjà que j’ai présenté en Janvier 2016. Perspective c’est un ensemble de dessins que je fais depuis 2012. En les exécutant je me suis rendu compte du rythme qu’ils créaient. Je les ai donc travaillés en série avec une approche très influencée par l’utilisation du fusain dans les séries de Matisse dans son exposition, Paires et séries au Centre Georges Pompidou en 2012.
J’ai ensuite eu cette idée de vidéo que j’ai eu l’occasion de la réaliser en profitant de l’atelier qui m’était mis à disposition par le collectif BLAST.
Pour la performance Perspective, je souhaite que l’on voit d’abord la vidéo et ensuite le live. On entend au début des bruits de l’extérieur avec cette vue sur le mur et à la fin le silence complet avec des vidéos de média, extraites d’internet, qui montrent les murs dans le monde.
Perspective parle du dessin mais aussi du dessein, de la projection. Cette idée que l’homme à besoin de se projeter et de construire (pas forcément dans un sens positif).
Lorsque je dessine, en tant qu’artiste, pour moi, je me considère aussi comme faisant partie de l’espèce humaine, ayant aussi ce défaut de pouvoir, de construire, d’être souverain. En tant qu’artiste je ne considère, simplement porter un regard critique, mais je pose ce que nous sommes et ce que nous sommes capables de faire et de penser. Je ne fais que montrer.
Silence ! est ma première expérience de la forme de « vidéo – live » avec l’artiste Loredana Lanciano. Entendre sa voix en direct de la projection vidéo apporte une nouvelle résonnance à l’image vidéographique. J’ai décidé d’activer ce projet pour la troisième fois.
Silence ! dure environ 5 minutes. L’amphithéâtre qui est projeté fait partie d’un établissement scolaire ou toutes les semaines, je surveillais des élèves, qui faisaient des devoirs de préparation au Baccalauréat. Pendant un an je les ai dessinés. Leur présence dans cette grande architecture créait un rythme dans les dessins. Visuellement, les élèves, assis derrière ces grandes lignes de tables, ressemblaient à une portée musicale. Chaque tête devenait une note, un temps, une basse, une aigue, un élément de la partition. Ces Notations sont devenus une partition que j’ai demandé à Loredana Lanciano, artiste bruitiste et chanteuse contemporaine d’interpréter et d’activer pour la performance.
J’ai commencé ce processus de notation-dessin à l’Ecole des Beaux – Arts ou j’ai découvert, Du signe au son, histoire de la notation musicale de Jean-Yves Bosseur, sur l’histoire de la partition et la question de l’interprétation. La partition est là pour donner une règle mais il existe une part de liberté. Tout est guidé, mais l’écriture ne peut pas tout imposer à l’interprète, même dans les partitions les plus strictes au sens du solfège et de l’écriture musicale. Le rendu n’est jamais le même. C’est ce qui m’a intéressé, donner une règle à un-e artiste musicienne, qui, va poser ses codes.
J’aime la notion de performance qui est très temporelle. A un moment T on voit un passage, une action et dans un deuxième temps, l’archive de cette performance, qui en fait partie mais qui n’est plus la performance vue, mais la trace. Je souhaite développer cette temporalité dans l’exposition.
Démarche
Chloé Martin : Tu as énormément expérimenté la pratique du dessin depuis ta formation à l’Ecole des Beaux – Arts d’Angers et à l’Académie des Beaux – Arts de Sarajevo ou tu es restée un an. Parles – nous de ton rapport au dessin et de la manière dont tu l’as fait évoluer jusqu’à aujourd’hui.
Amandine Portelli : Mon séjour à Sarajevo a été un moment très enrichissant et important qui a fait complètement évoluer ma pratique du dessin. C’est une période que je considère comme un tournant dans ma vie ou j’ai passé un an dans les ateliers d’arts graphiques.
Pour mon diplôme de fin d’étude j’ai beaucoup présenté de dessins de caricatures, de manière assez libre et intuitive, « sans répit du présent »1.
Il existe une bibliothèque à Sarajevo qui a été brulée et détruite pendant la guerre de Bosnie (1992-1995). Cet acte de destruction des livres trouve un écho avec ma pratique développée à l’Académie des Beaux – Arts, celle de faire des livres. Ces éditions sont vraiment des interprétations personnelles de ce que je vivais, ce que je voyais et des gens que je rencontrais là-bas. Chaque livre est unique, réalisé dans les ateliers d’arts graphiques avec les techniques de gravure.
Léo Bioret : Tu nous fais part de ce tournant dans ta pratique et dans ta vie, qui finalement te permets de revenir explorer et piocher dans tes réalisations de 2008 pour alimenter ta pratique aujourd’hui.
Amandine Portelli : J’y reviens beaucoup, car j’y ai développé de nombreux axes de recherches qui porte encore mon travail aujourd’hui comme la question du multiple ou celle de l’humain qui a une part importante dans mon travail. J’ai travaillé sur des sujets identitaires en réfléchissant sur la manière de représenter l’humain qui n’en ai plus vraiment un et le rôle des médias sur la manière de raconter un fait ou une histoire où la dimension fictionnelle apparait. Ce qui m’intéresse c’est la transmission d’un message, la manière dont les médias interprètent et racontent jusqu’à déshumaniser l’information ou le sujet.
Chloé Martin : Tu créés une transmission entre tes œuvres et le public, en étant là pour raconter et expliquer ton vécu et tes rencontres.
Amandine Portelli : C’est important de raconter. Mes dessins se sont développer autour de l’histoire et de la narration, ce qui m’a amené au principe de la série en développant des mises en scène fortes abordant souvent la question de l’autre.
Léo Bioret : Tu traites la représentation humaine par suggestion ou bien en prenant le contre-pied de la caricature.
Amandine Portelli : Paul Valery parle de « l’incontournable sujet du corps dans l’art ». Sans montrer le corps, j’en parle, il est présent. J’ai continué a restituer ce que j’observais dans mes carnets et un jour je suis sortie de ces carnets. Je travaillais avec un modèle mental de valise, l’image du livre. Je suis arrivé à Sarajevo avec une valise, je devais repartir avec une autre valise ! En revenant à Angers, j’ai ouvert cette valise. Je suis venue à Sarajevo avec des histoires de France en revenant de Bosnie j’avais d’autres histoires à raconter et de nouvelles choses à montrer ; des éditions d’histoires très personnelles de Sarajevo, qui nécessitaient ma présence pour les raconter.
Léo Bioret : Est-ce de cette façon que tu créé le lien entre les moments très temporels des performances – live avec le dessin, en étant présente, en parlant ou en montrant tes histoires ?
Amandine Portelli : L’occasion est la rencontre avec l’artiste qui est présent. L’œuvre voyage, elle parle et elle s’interprète.
Léo Bioret : Quel est ton rapport au texte et aux mots ?
Amandine Portelli : Je crois que le premier point de repère en lien avec les mots c’est Mémoire. Mon mémoire de fin d’études mais aussi les mémoires des personnes que j’ai rencontré que m’ont raconté leur histoire. Le texte est toujours présent dans mon travail. Sarajevo a aussi été une période d’écriture d’intense ou je retranscrivais des récits, j’écrivais des mots, des idées, des histoires. Je croisais beaucoup de monde et j’étais très attentive aux scènes que je vivais dans la rue.
Léo Bioret : Cette démarche d’observation est constante dans tes recherches de création. C’est essentiel pour toi de te nourrir de tout ce que tu vois ou rencontre et de t’imprégner de ces messages forts ?
Amandine Portelli : Effectivement, je suis hyper sensible à ce genre d’observation. Ces moments portent mon travail et révèlent certains besoins, comme celui, qui est devenu une nécessité à ce moment-là, de dessiner de manière viscérale !
Léo Bioret : Poser des mots et élaborer une narration autour des œuvres est un besoin que tu alimentes. Pas pour expliquer au spectateur ce qu’il doit voir mais bien pour lui ouvrir l’interprétation.
Amandine Portelli : Le texte fait d’ailleurs parfois partie de l’œuvre. Pour moi le texte est visuel et je fais partie des arts visuels. Je m’intéresse à l’image qui est aussi le langage.
Exposition
Léo Bioret : Comment as-tu pensé le projet d’exposition, Perspective ?
Amandine Portelli : Dans cette exposition, la question essentielle est celle de la représentation et du pouvoir. Je travaille sur ce projet depuis plusieurs mois. Le titre de l’exposition, Perspective est une ouverture, un titre polysémique. Que ce soit la technique de la perspective en dessin, le sens que je vais lui donner dans ma pratique, mais aussi par son sens social et politique. Perspective est une déclinaison qui implique aussi une idée de frontière qui m’amène directement au mur.
Léo Bioret : Square de la Paix, c’est le visuel que tu as choisi pour l’exposition Perspective
Amandine Portelli : C’est une photographie, une pratique que j’utilise peu dans mon travail mais qui est présente dans mes étapes de recherches par son aspect très graphique. Elle me sert de base pour mes tirages, soit sérigraphie, soit très tramé pour avoir une matière visible. Cette photographie a été prise de la fenêtre de ma chambre dans mon ancien logement. J’avais vu sur un mur, Square de la Paix. Tous les matins je me réveillais en disant : « Un jour il faudrait vraiment que je prenne ce mur en photo ! ». Ce que j’ai fait la semaine juste avant mon déménagement. J’ai ensuite imprimé cette photographie avec un traceur de plan sur papier 80 grammes, ce qui donne cette trame particulière au visuel.
Léo Bioret : Tu as une relation visuelle privilégiée au sujet et à l’image du mur ?
Amandine Portelli : Le mur est récurrent dans mon travail, il me fascine. L’un des projets qui fait le lien dans mon travail et qui m’a pris le plus de temps d’immersion et d’archivage est Cellule. J’ai passé beaucoup de temps à la Maison d’arrêt d’Angers à observer la vie carcérale par l’intermédiaire de l’Asdas. À chaque fois que je rentrais dans la Maison d’arrêt d’Angers, je voyais un écran de contrôle avec la vue de cette prison en vue aérienne. Travailler autour des prisons a éveillé mon intérêt sur des questions d’espace et de politique. Les gens et leurs témoignages ont tout d’un coup fait la transition dans mon travail entre la représentation de la figure humaine et la suggestion de l’humain. Travailler autour des prisons était un sujet trop complexe pour pouvoir être dans l’individualité. J’avais envie de parler de la coercition qui m’a amené vers l’architecture comme lieu de pouvoir. Etant dessinatrice et représentant toujours l’espace, j’ai commencé à représenter les prisons photographiées en vue aérienne en France. J’ai référencé toutes les prisons françaises sur Google Map et je les toutes isolées de leur contexte géographique ou urbain, chacune dans leur cellule. A partir de ces vues aériennes, j’ai commencé un projet vidéo – sérigraphie lors d’une résidence à Angers en 2012. J’ai ensuite fait évoluer ce projet en utilisant des traceurs de plans pour imprimer chaque cellule sur des formats beaucoup plus grands. Aujourd’hui je repense ce projet une nouvelle fois en terme d’accrochage en présentant deux ou trois lais de papier ou sera imprimé une prison. Chaque lais se déroulera du mur sur une table.
Léo Bioret : Ce rapport au gris qui a une place importante dans ta pratique, est-ce ce lien que tu tisses constamment avec le mur ?
Amandine Portelli : Les gris proposés dans le logiciel pour réaliser mes vidéos, font apparaitre les murs avec des valeurs de gris par défaut. Le mur arrive.
Léo Bioret : Tu as, avec tes œuvres, un rapport de réactivation. Certaines sont finies et fermées mais la plupart vivent sous des formes évolutives. Comment développes-tu ce principe de réactivation et sa temporalité ?
Amandine Portelli : Je laisse cette possibilité aux œuvres. Ce principe de combinaisons est lié à un artiste que j’aime beaucoup, Sol Lewitt. Je fonctionne beaucoup par périodes. Les moments de mon travail sont à chaque fois marqués par un artiste ( Henri Matisse, Williams Kendtridge, Alberto Giacometti, Sol Lewitt) Lorsque je travaille sur une vidéo et que je la termine, j’assume la forme qu’elle prend, les détails qui fonctionnent ou non, puisque le jour où je pourrais la montrer une nouvelle fois, elle prendra une autre forme. Si ce n’est pas le résultat que j’attendais, je sais que je veux autre chose mais cette étape est importante et doit vivre et être montrée. Je garde chaque forme de l’œuvre, ce qui me permet d’avancer, de créer mon plan, mon archive.
Léo Bioret : Abordons la question de l’atelier…
Amandine Portelli : C’est par Williams Kendridge que j’aborde cette question de l’atelier. Je suis passé du dessin au film d’animation dans le cadre du projet, You have to kill me. J’ai dessiné des centaines d’images dans mon atelier pendant 3 mois.
Chloé Martin : Tu as un rapport à l’espace toujours présent dans tes réalisations mais aussi par rapport au contexte dans lequel ont été réalisé tes œuvres.
Amandine Portelli : J’aborde aussi l’espace par les combinaisons et l’idée de l’infini. Il me reste encore 15 minutes à faire pour You have to kill me. Non pas que ce projet a été montré alors qu’il n’était pas terminé mais il s’étend de quelques minutes à chaque fois. Le son de la vidéo fonctionne aussi de cette manière-là. Raphaël Ilias qui a réalisé la bande sonore, travaille par combinaisons. Le fait de montrer un mur dans un jardin, aborde aussi l’espace privé et l’espace public et l’appropriation de l’espace.
« Les murs protecteurs du foyer s’étendent à présent à l’échelle de la nation. Comme pour parodier la thèse avancée par Hannah Arendt dans, Condition de l’homme moderne, selon laquelle, dans la modernité l’envahissement du politique par le social, a transformé la nation en un gigantesque foyer familial. »2
Léo Bioret : Si l’on parle du projet que tu prépares à Angers pour le mois d’avril 2017, on remarque que la série est palpable mais travaillée d’une manière moins classique. Comme si tu l’avais faite évoluer et que tu apportais une nouvelle vue à la série.
Amandine Portelli : L’intégralité de mon travail est la série, chaque projet forme un tout. Je m’interroge beaucoup sur l’unique et le multiple, entre ce que je fais à la main et ce que je fais à la machine qu’est ce qui donne une caractéristique et une forme singulière à l’unique et ce qui forme un tout à l’identité commune. A l’infini va la différence et l’interprétation ! J’ai envie de m’approprier cette liberté d’interprétation que l’on trouve dans le spectacle vivant pour l’adapter aux arts visuels. Une liberté d’interprétation que je me donne pour You have to kill me, inspiré d’Accatone de Pasolini.
Léo Bioret : Qu’est-ce que tu n’as jamais encore fait en projection d’un nouveau projet d’exposition ? Cette exposition Perspective est-elle une amorce, une expérimentation, de l’espace que tu développeras par la suite ? Cette exposition est-elle la première impulsion d’une forme d’exposition que tu souhaites développer dans tes futurs projets ?
Amandine Portelli : Je souhaiterais développer une forme d’exposition évolutive ou toutes les traces des performances ou des vidéos live qui ont eu lieu sur le temps d’exposition soient présentées dans l’espace d’exposition. Il s’agira de présenter le temps d’intervention par des vidéos, des images ou des objets de la performance. Ce deuxième temps de la performance me permettra d’expérimenter l’exposition de la performance. Chaque dessin-partition de Silence ! est daté. Ils seront exposés, reliés pendant tout le mois d’avril 2017, sur un pupitre à côté de la restitution vidéo de la performance jouée le 22 mars 2017. Perspective est en effet une amorce de cette proposition en présentant les traces des deux vidéos-live qui auront lieu au mois de mars 2017, dans l’exposition. Chaque projet de performance trouvera ainsi sa forme complète. J’aimerais beaucoup faire une exposition de « commandes ». Ou chaque réflexion est élaboré à plusieurs autour de mon travail et pourquoi pas à l’infini ? Je suis très sensible au travail de collaboration dans cette forme de la performance. Je considère le travail collectif avec cette envie de faire travailler les artistes plasticiens. Le fait d’en parler, me permet de poser ce projet, concrètement. A un moment donné, il va falloir que je me lance et que je le fasse. C’est une sorte de promesse que je me fais à moi-même.
crédits : vues de l’exposition Perspective, Amandine Portelli, collectif BLAST, 2017